C’était le jour de la rentrée. Thomasine ne s’était
jamais habituée à ce jour si particulier pour elle. Chaque année, elle devait
faire preuve d’imagination pour aller à la rencontre de ses camarades. Depuis
des années elle avait élaboré des stratégies qui lui permettaient de rentrer en
contact de façon intelligente et de ne pas perdre son temps avec ceux qui lui
attireraient des ennuies ou des questionnements.
Sur le chemin du collège, elle se répétait les
règles de conduites qui la conduiraient vers ceux qui deviendraient probablement
ses amis et qui ne lui poseraient pas trop de problèmes.
La technique
était simple : ne parler à personne tant qu’une classe ne lui avait pas
été désignée et repérer les groupes immuables qui existent dans toutes les
écoles qu’elles avaient fréquentées :
- Les chefs (groupe de garçons
un peu prétentieu qui mènent à la baguette les autres : à éviter,
au risque d’être la prochaine fille sur leur liste de conquêtes). Elle les
repérait à leurs vêtements très à la mode, leur regard enjôleur et hautain la
fois.
- Les lolitas (A éviter :
à la première faute de goût, on est exclus du groupe et bannie de la classe).
Elles menaient les filles par le bout du nez par leur vêtement très
« hype » et leur côté Paris Hilton. Dédaigneuse et plutôt jolie,
elles enchaînaient à treize ans les baisers avec la langue et les drague
ouvertement « hot » qui donnaient un vrai décalage avec leur âge.
- Les loosers (on évite tout
court). Souvent seuls et mise à part par les autres, elle se devait de les
éviter, si elle ne voulait pas, elle aussi devenir une pariât dans la classe.
- Les transparents (mes futurs
amis : on leur fout la paix et l’on peut se permettre d’avoir une vie
scolaire tranquille). Comme leur nom l’indiquait, personne ne les voyaient, ils
n’enviaient personne et «était plutôt bien vu dans une classe car malgré un
look stylé et des passions normales pour des ados de treize ans, il ne jugeaient
personne et faisaient peu de bruit…
Thomasine leva la tête. Au bout de la rue se
dessinait les premiers visages de ceux qui l’accompagneraient cette année. Elle
devinait déjà le style de chacun et le groupe auquel ils appartenaient… Elle
fut surprise de percevoir tant de lolitas… Et si peu de transparents…
Les listes des classes étaient déjà inscrites sur le mur d'entrée du collège. Elle n’eut aucune difficulté a repérer son nom en tête de
liste. « Salle 208, professeurs principaux, Madame Belotti »
Bien. Il y avait des choses immuables dans chaque
établissement :
- Les salles commençant par 1
sont au premier étage, par 2 au second…
- Les salles sont toujours des
chiffres pairs
- Les groupes sont toujours
les mêmes
- La salle de profs est
toujours pleine à la récréation
- Les garçons les plus beaux
jouent au basket à la récréation
Il restait un quart d’heure avant la rencontre avec
sa classe. Un peu de solitude lui ferait du bien.
Thomasine longeait le couloir
« 202, 204, 206… » Elle était rassurée, la salle 208 semblait se
trouver à l’angle de deux bâtiments ce qui lui promettait un vrai moment de
calme.
Mais en tournant au coin de la salle, Thomasine
n’était pas seule…
« Salut » lui lâcha dans un demi-sourire
le garçon qui était assis devant la porte
« Salut »
Un rapide coup d’œil ne suffisait pas à Thomasine
pour définir à quel groupe ce type pouvait appartenir. Le simple fait qu’il
soit là, seul, à lire un livre, un quart d’heure avant la rentrée
officielle le rangeait effectivement
dans la catégorie « looser »,
mais son T-shirt de Muse et son jean Levi’s le rendait fréquentable…
C’est la première fois que la jeune fille se trouvait face à une telle énigme…
Le jeune homme rangea son livre et lui décrocha un
sourire qui la déstabilisa quelques peu… Les cheveux noirs en broussaille, un
chèche autour du coup, il ne semblait nullement étonné de la présence de la
jeune fille devant cette classe.
- Toi … Tu es nouvelle…
C’est la première fois que quelqu’un la prenait de
cours dans son entreprise d’analyse…
- Ça se voit tant que
ça ?
- Ne t’en fait pas tu as
affaire à un expert en tête nouvelle… Nouvelle année, nouvelle école !!!
- Comment tu le sais ?
- Quoi ?
- Que chaque année je rentre
dans une nouvelle école ?
Un silence d’incompréhension s’installa entre les
deux jeunes gens…
- Je parlais de moi… Lui
glissa doucement le jeune homme
Voilà pourquoi Thomasine n’arrivait pas à le caser…
Parce qu’il faisait partie du même groupe qu’elle : les itinérants. Elle
n’en avait jamais rencontré… Son souffle restait coupé par cette rencontre.
- Etienne, lui dit-il en lui
tendant la main
- Quoi ?
- Si tu me dit que tu
t’appelles aussi Etienne, là je joue au loto direct !
Thomasine éclatait de rire.
-Excuse ! Thomasine, mais tu peux m’appeler
Tom…
Thomasine s’installa auprès d’Etienne et observa le
livre qu’il était en train de lire « Les
cinq personnes que j’ai rencontrées là-haut ».
- Ça parle de quoi ? lui
demanda Thomasine
- C’est l’histoire d’un type
qui meurt dans une fête foraine. Il se retrouve au
« paradis », …
La façon dont il avait mimé les guillemets sur les
cotés de son visage la fit sourire.
-… Et là il rencontre des gens qu’il a plus ou moins
connu mais dont il a changé le cours de la vie. Tu lis-toi ?
- Un peu….
- En ce moment, par exemple tu lis quoi ?
En ce moment ses livres se résumaient principalement
à sa recherche qui l’obsédait.
- En ce moment… Je lis
beaucoup de livres sur la révolution et Marie-Antoinette…
Etienne essaya de cacher une expression de surprise,
sans succès…
- Tu n’as pas assez des
cours ? ricana Etienne
- Si… Mais quand tu explores
un sujet avec, … Les détails et.. Euh… En passant par les trucs qui
t’intéressent… Bah…
- C’est passionnant ?
- Oué… Souffla dans un sourire
de soulagement Thomasine…
- Ne le dis à personne, mais
il y a deux ans, j’ai fait une recherche complète sur les sœurs Dionne.
- Les sœurs quoi ?
- Les sœurs Dionne.
- C’est qui ?
- Ce sont les cinq premières
quintuplées à avoir survécues. Elles ont eu un destin de
fou. Elles étaient canadiennes.
- Mais … Ça n’a rien à voir
avec l’histoire ça…
- Bah tu vois comment la
psychologie a évolué, la perception des enfants etc…
- Mouais… Thomasine éclata de
rire très vite rejoint par Etienne
Ils continuèrent de parler sans prendre garde aux
autres élèves qui arrivaient. Puis ce fut au tour de leur professeur, et la
matinée d’adaptation passa aussi rapidement que Thomasine aurait pu l’espérer.
Le repas terminé, Thomasine proposa à Etienne de
venir passer l’après-midi avec elle. Le soleil des derniers beaux jours et
l’absence des adultes eut raison de la réticence d’Etienne.
Sur le chemin, les deux ados faisaient connaissance.
Thomasine n’avaient jamais rencontré quelqu’un qui lui ressemblait autant. Bien
sûr, il y avait Garance. Même si elle continuait à avoir des liens pat
Internet, et le téléphone, Garance était très différente d’elle. Une vraie
Lolita ! Elle adorait la mode, les garçons et les bijoux. Elles s’étaient
peu parlé depuis l’incident de l’été dernier, mais elle manquait à Thomasine.
- Comment ça se fait que tu
changes d’école chaque année ?
La question d’Etienne la surpris. Elle n’avait
jamais fait grand cas de ces changements récurrents auprès de ses anciens
camarades. La seule qui savait c’était Garance et elle savait comment ça
s’était terminé…
- C’est compliqué… Et
toi ?
Le temps qu’il le lui raconte elle aurait le temps
de chercher une excuse. Mieux ! Il oublierait peut-être de lui demander…
- Mes parents sont divorcés.
Jusqu’à maintenant je vivais avec ma mère. C’est une de pointures des sciences de l'éducation. Du coup on déménageait au rythme des cours et des
contrats que les grandes universités mondiales pouvaient lui offrir. Je viens
de passer une année entière à Rio de Janeiro !!! Mais l’année dernière, je
me suis fait de vrais amis et il a fallu rentrer à Paris. Ma mère avait un
contrat pour Vancouver cette année. Et je n’ai pas voulu y aller. Elle m’a
proposé d’aller vivre chez mon père, qui venait de s’installer avec sa nouvelle
femme. Je ne la connaissais pas très bien. Alors j’ai dit oui pour un an. Si ça
ne va pas, dans un an, je repars sur les routes avec ma mère.
- Et alors ? ça se passe
bien ?
- Ça va… Ils viennent d’avoir
un petit garçon, alors ils sont assez occupés avec lui et ça me laisse pas mal
de champs libres.
Thomasine poussa la porte du bâtiment où elle venait
d’emménager. La conversation continuait sur la vie d’Etienne qui se montrait
très mûr pour son âge.
Thomasine lui fit visiter la maison. Etienne,
semblait avoir un vif intérêt pour tous les livres qui étaient présents dans la maison. Quand ils
arrivèrent dans la chambre de Thomasine, Etienne parcouru les ouvrages qui se
trouvaient dans la bibliothèque de sa nouvelle amie… Il ne tarda pas à remarquer
les nombreux ouvrages, empruntés à la bibliothèque sur Marie-Antoinette ou la
révolution… Cela n’échappa pas à Thomasine qui voulut faire diversion.
- Tu veux manger quelque
chose ? demanda t-elle
- Oui… Dis donc, c’est une
vraie thèse que tu es en train de faire là !
- Oui, j’aime bien…
- Tu devrais rencontrer ma
mère…
- Pourquoi ?
- Elle a écrit sa thèse sur la
famille royale…
Thomasine resta interdit devant cette information…
Mais il fallait rester discret, ça ne pas éveiller les soupçons. Le conflit
avec Garance lui avait suffi, elle ne voulait pas une nouvelle rupture avec son
nouvel ami.
- Ah oué ? Et tu sais sur
quoi elle portait sa thèse ? Lui demanda t-elle en posant les deux bols de
glaces sur la table de la cuisine
- Les différentes adoptions de
Marie-Antoinette et la relation avec ses propres enfants.
- Et alors ?
- Ça je n’en sais trop rien…
C’est une thèse… Un peu chaud pour moi.
- Moi ça m’intéresserait de la
rencontrer et d’en parler avec elle
- Bah va falloir être patiente
parce que ma mère ne rentre pas avant noël
- Oui, bah ça ne presse
pas …
Il lui en coûtait de dire ça. Évidemment que ça
pressait : depuis qu’elle avait commencé son enquête, il lui semblait que
chaque seconde comptait. On lui avait volé tellement de temps à lui
mentir !
Mais elle
avait une chance insolente : quelqu’un allait pouvoir répondre à ces
questions et lui fournir de nouvelles pièces de puzzle…