Les enfants étaient en rang par deux devant
l’école. L’école aux murs jaunes de ce
petit village du sud de Paris, se préparait déjà aux grandes vacances… Dans
quelques jours, les classes seraient nettoyées à fond puis dans quelques
semaines, elles seraient totalement désertées par les enfants et les
enseignants déjà partis sur les routes du soleil.
C’était la dernière année de maternelle de la classe
de Mademoiselle Poirier et cette sortie
était la dernière de l’année. Elle avait accompagné cette classe pendant trois
ans et c’était toujours avec un peu de nostalgie qu’elle quittait ces petits au
bout de tout ce temps… Mais c’était la règle ! Elle le savait, à la
rentrée d’autres enfants viendraient remplacer ceux-la et, sans les oublier,
elle s’attacherait à d’autres pour trois années supplémentaires.
Deux petites l’avaient pourtant particulièrement
marquées pendant ces trois ans. Garance et Thomasine étaient inséparables.
Elles ne s’isolaient pas du groupe pour autant, jouaient avec d’autres mais
restaient indissociables l’une de l’autre. Cette amitié sans jalousie, sans
règles chez des si petits forçait son admiration. Elle s’inquiétait pourtant de
leur séparation à la rentrée prochaine.
Les deux fillettes le savaient parfaitement. Garance
partait en école privée alors que Thomasine irait à l’école dans le village
voisin et cela leurs brisait le cœur. Malgré une affection particulière pour
ces deux enfants, la maîtresse ne leur avait pas permis de se mettre l’une à
côté de l’autre car elles étaient trop dissipées à son goût . Il y avait
beaucoup de route, et de dangers sur le chemin qui menait au cirque de la
région, elle ne pouvait se permettre de s’ajouter des difficultés supplémentaires.
Alors que les enfants se mettaient en rang, elles ne se quittaient pas des yeux,
chacune sentant un peu plus leurs cœurs se resserrer. Puis quand la maîtresse
demanda aux élèves d’avancer, les deux fillettes suivirent le reste du groupe
et marchèrent dans la même direction, le long du petit chemin qui rejoignait la
rue.
Ce
chemin était jonché de cailloux. Les sandalettes roses de Thomasine les
laissaient entrer à chaque pas sous ses pieds.
- J’ai failli ne pas venir,
dit Amaury alors qu’il serrait la main de la fillette. Papa a décidé de partir
en vacances plus tôt cette année. Mais maman a dit que c’était important pour
moi cette sortie au cirque. Tu crois qu’il y aura des éléphants ?
Thomasine lui fit signe que « oui » mais
elle ne pouvait sortir un mot. Elle pensait que cela ouvrirait les vannes et
que ses pleurs seraient alors insurmontables. Ils quittèrent le petit chemin
caillouteux pour rejoindre le trottoir, ce qui signifiait leur sortie
définitive de l’école maternelle. Ils rentraient dans le monde des grands.
Les pieds de Thomasine
étaient de plus en plus douloureux. Elle se retourna pour regarder une dernière
fois le grand portail vert qui les avait accueillis pendant trois ans. Tout
allait lui manquer : les murets jaunes de l’entrée de l’école, son petit
chemin d’écolier, la grande cour, les danses improvisées avec garance sur la
butte qui dominait la cour de récréation…
Puis ses yeux se posèrent sur les longs
cheveux noirs de Garance qui se balançaient au rythme de ses pas. Pour finir,
elle sentit ses pieds se déchirer par les cailloux coincés dans ses chaussures.
Mais elle ne ralentit pas l’allure. Sans un mot, elle rejoignit le groupe et
resserra un peu plus fort la main d’Amaury, comme si elle était une sorte de
poignée qui pouvait retenir ses larmes.
Les
enfants discutaient tranquillement sur le bord du trottoir. Chacun imaginait ce
qu’allait leur réserver cette sortie au cirque. Thomasine s’en fichait. Elle
n’avait jamais aimé le cirque. Elle trouvait ça long et fatiguant et préférait
voir les animaux en liberté que de les voir obligés de faire des trucs par les
adultes. Perdue dans ses pensées, elle ne vit pas la petite voiture verte passé
le coin de la rue à une vitesse déraisonnable.
La voiture freina brusquement à quelques mètres des
enfants. Elle n’avait pas vu le feu passé au rouge. À la vue des enfants, le
conducteur n’avait pas voulu prendre de risque. Mais les élèves s’étaient, eux, immobilisés de stupeur.
Thomasine fut la seule qui ne tourna pas la tête
vers la petite voiture qui redémarrait à la même vitesse dès que le feu passa
au vert.
Une autre
image s’étaient imposée à elle. Amaury était allongé sur la chaussée, la tempe
en sang les yeux fermés et ne répondant à personne.
- Bah dis donc, il est fou
celui-là….
La voix du petit garçon la ramena à la réalité. Avec
un petit sourire, Thomasine tentait d’oublier cette image. Au bout du trottoir,
un grand car jaune venait de se garer.
Les premiers enfants
montèrent dans le car, s’agrippant à la rampe, il semblait encore difficile
pour certain de gravir les quelques marches qui leur permettaient de
s’installer. Thomasine, restée sur le trottoir, s’apprétait, elle aussi à poser
le pied sur la première marche du bus.
Mais cette fois-ci ce fut
les pleurs et les cris de ses camarades qui envahissaient ses oreilles. Quelque
part au fond d’elle, au-delà de sa tristesse de quitter cette école et son
amie, elle avait un sentiment de peur qui s’insinuait en elle et qui n’avait
rien à voir avec tout cela.
Les cailloux qui avaient
fini par l’écorcher semblaient avoir disparus. Elle s’immobilisa devant cette
marche puis se poussa sur le coté pour laisser Elliot et Julie monter dans le
car. Amaury n’insista pas et laissa les suivants emboîter le pas de leurs
camarades. Puis se fut au tour de Garance et Dorian de gravir les premières
marches du car et lorsqu’elle ne pu plus voir le petit sac rose à tête de lapin
de son amie, Thomasine eu l’impression que ses jambes ne semblaient plus lui
obéir.
Les
derniers enfants montaient un par un et, cela lui semblait une éternité. À
chaque nouvel enfant dans le bus, les pieds de Thomasine semblaient faire un
pas en arrière.
- Thomasine, tu fais
quoi ? lui demanda soudain Amaury, tu veux plus aller au cirque ?
L’appel du petit garçon semblait avoir activé le
radar à problèmes de l’institutrice. Au coin du car, l’institutrice qui
terminait de compter ses élèves, se rapprocha de l’enfant qui semblait comme
déconnecté du monde qui l’entourait
- Que se passe-t-il Thomasine,
tu ne te sens pas bien ? lui demanda t-elle
- IL NE FAUT PAS MONTER DANS
CE CAR, énonça l’enfant comme si quelqu’un parlait à sa place.
Les élèves étaient déjà tous installés dans le bus.
Seuls Thomasine, Amaury et la maîtresse étaient restés sur le bord du trottoir.
La plupart des enfants suivaient la scène du regard, mais aucun n’osait émettre
un son, comme si chacun pressentait que quelque chose de grave allait arriver.
Seule la voix aigüe de la maîtresse était perceptible :
- Alors ?
- Maîtresse, il ne faut pas
entrer dans ce car. Il va se passer quelque chose de grave…
Cette annonce ne semblait pas inquiéter la maîtresse
plus que cela, mais elle suscita un vif intérêt dans le bus : certains
enfants se raidirent, d’autres s’agitèrent tout en observant la maîtresse et leurs
camarades restés sur la chaussée.
- Il va y avoir un accident,
repris Thomasine sur un ton qu’elle ne contrôlait plus, Amaury… Sa tête…
Les yeux noirs de la fillette s’emplissaient de
larmes et son regard fixait avec une telle intensité la maîtresse qu’elle ne pu
s’empêcher de la croire pendant quelques secondes. Thomasine dévisageait la
jeune femme, terrifiée par les mots qui sortaient de sa bouche. Au bout d’un
certain temps, l’institutrice s’agenouilla auprès de la fillette. Le jean très
à la mode de la jeune femme, trainait dans la poussière de la ville mais peut
lui importait, l’heure tournait, il fallait convaincre la fillette que rien de
grave n’allait se passer, que cette peur était déraisonnée, mais il fallait
avant tout la rassurer.
-Mais enfin, Thomasine, qu’est ce que tu
racontes ?
-La tête d’Amaury, pleine de sang…
L’enfant qui se tenait à côté d’elle blêmissait à
chaque mot prononcé par la petite fille. Amaury avait déjà les yeux pleins de
larmes et serrait un peu plus fort l’éléphant vert qui lui servait de doudou.
La maîtresse s’en aperçut et tenta de l’écarter afin de discuter calmement avec
Thomasine.
- Amaury monte dans le car
s’il te plait…
Mais comme si les craintes de la fillette avaient
contaminé le petit garçon, Amaury ne bougeait pas d’un pouce.
- Maîtresse, il ne faut pas
monter dans le bus…
Thomasine, attendit une réaction de la maîtresse.
Elle la fixa bien dans les yeux et d’un ton très sur d’elle, elle lui
dit :
- Maîtresse, je sais qu’il va
y avoir un accident et je ne vais pas rentrer dedans… Il ne faut pas…
Amaury s’était mis à
pleurer. De grosses larmes silencieuses coulaient le long de ses joues de bébé
tandis qu’il contaminait chaque siège du véhicule. Garance se leva et rejoignit
son amie. Le chauffeur de car, un vieux monsieur à grosses moustaches et grosse lunette tenta de
l’en dissuader mais la petite fille était têtue. Elle s’accrocha comme elle
pouvait à la rampe de descente du car et du sauter pour atteindre le bitume,
qui la séparait de son amie.
Quelque chose de fort liait
les deux enfants et la petite fille savait que si Thomasine pleurait ce n’était
pas un caprice. Elles se connaissaient depuis qu’elles étaient toutes petites
et Garance savait que Thomasine était une fille bien plus courageuse qu’elle. À
la piscine, c’est elle qui avait plongé la première dans le grand bain, et
c’était encore elle qui à la colo l’été dernier lui tenait la main le soir pour
la rassurer dans cette grande maison qui faisait du bruit. Elle devait lui
faire confiance et la soutenir :
- Maîtresse, moi non plus je
ne veux plus aller au cirque.
- Mais enfin les enfants, on
ne va pas s’empêcher d’aller au cirque Parce que Thomasine croit que quelque
chose va arriver…
- Et si elle avait
raison ? demandait Amaury qui semblait avoir retrouver soudainement une
voix qui avait pris une assurance qui le surprenait lui-même.
Le car tout entier était
secoué de sanglots et quelques murmures apeurés s’échappaient des deux allées
remplies d’enfants. La maîtresse s’était levée et parcourait du regard les trois
enfants pleurants mais décidés qui l’entouraient.
- Maîtresse vous allez nous
forcer ? Lui demanda Amaury
La maîtresse caressa les cheveux blonds du petit
garçon et lui répondit :
- Non… Bien sûr que non…Mais
que va t-on faire si on ne va pas au cirque ? dit-elle dans une douceur
infime
- On a qu’à retourner dans la classe et pique-niquer
dans le parc… Ce sera bien comme sortie
de fin d’année…
- Et bien Garance, il me
semble que c’est un bon choix.
L’annonce soulagea la plupart des enfants dans le
car. Personne n’attendit l’ordre de la maîtresse pour descendre et tout
naturellement chacun, revint se mettre en rang le long du véhicule. Dans le
silence apaisé des petits, seule la vieille voix du chauffeur faisait
diversion :
- Vraiment, aujourd’hui, les
mômes… Pffffff….
Matthieu le
plus jeune de la classe descendit en dernier. Les larmes avaient laissé de
grosses traînées noires le long de ses
joues. Il dévisageait Thomasine comme si elle était un être à part, étrange… Il
sentait quelque chose de différent chez elle, mais rien qui ne l’effrayait
pourtant…Il savait, lui aussi, bien que quelque chose de grave, allait arriver
mais il savait aussi que, lui n’aurait pas pu le prévoir. Il ne pu d’ailleurs
s’empêcher de lui dire :
- Ça t’arrivera encore. Ce
n’est qu’un début. Ma mamie faisait ça aussi. Ce n’est que la première fois…
Les enfants attendaient
sagement que l’institutrice reprenne le chemin vers la classe quand une réponse
surgit de la bouche de Thomasine :
- Oui . je sais que c’est
vrai. Mais je ne sais pas si je saurais toujours quoi faire.
Matthieu haussa les épaules dans un sourire et lui
tourna le dos pour donner la main à Nino.
L’enfant n’avait pas fini sa
phrase qu’un bruit ainsi qu’un crissement de pneu et un bruit de tôle froissée
leur arriva aux oreilles. À la différence de la première fois, Thomasine fut la
première à se retourner. Elle fut à peine surprise de voir le car déporté sur
le bas-côté, renversé par un gros camion rouge dont le par-choc ressemblait à
une boîte de conserve. Le camion n’avait visiblement pas respecté le feu qui
venait de passer au rouge et avait percuté de pleins fouets le car.
La maîtresse laissa le groupe d’enfant sur le
bord du trottoir, traversa le croisement qui les séparait de l’accident et se
précipita du côté conducteur, oubliant un instant la classe qu’elle
accompagnait. À son grand soulagement, elle s’aperçut que le chauffeur n’avait
rien si ce n’est quelques égratignures. Le car, quant à lui, avait tout une
partie complètement défoncée. Un siège avait même été arraché de son
emplacement pour atterrir quelque mètre plus loin sur la chaussée.
Les enfants un peu hébétés n’osaient plus
bouger. Terrorisés par l’accident mais encore plus par la prédiction de leur
camarade. Puis une à une les petites têtes se tournèrent vers Thomasine. La
maîtresse fut la dernière à regarder l’enfant, et curieusement ce fut elle qui
eut l’air le plus effrayée. Thomasine lisait dans les yeux verts de la
maîtresse une véritable crainte.
- Comme je le disais,
poursuivit Morgan, sûre de lui, tu as un pouvoir magique.
Et comme si de rien n’était
le petit garçon se retourna et attendit sagement la maîtresse le long du
trottoir. L’institutrice après s’être assurée que le chauffeur allait bien,
appela les secours. Elle rejoignit enfin le groupe d’enfant qui l’avait
sagement attendu le long de la chaussée.
Quand celle-ci eu rejoint son groupe et
s’assura que tout le monde était bien là et n’avait rien, Thomasine leva les
yeux vers elle attendant une réaction de sa part. Il semblait à la jeune femme
que quelque chose avait changée chez la petite fille.
-Maîtresse ?
Et comme si l’institutrice savait ce que l’enfant
allait lui demander, la jeune femme lui répondit :
- C’est étrange certes. Mais
je pense que c’est un hasard.
- Je…
Thomasine jeta un regard du côté de Matthieu qui
déjà discutait avec Nino et semblait avoir totalement oublié l’événement qui
venait de se produire. Les yeux fixés sur ses camarades, l’enfant avait soudain
pali. Elle n’avait jusqu’ici jamais douté de la parole de l’adulte, mais
aujourd’hui le discours de l’enfant était bien plus proche de ce qu’elle
ressentait. Elle avait la conviction que ce n’était pas un hasard. Non. Elle
avait vu cet accident. Elle s’était sentie différente à ce moment-là, comme
hors d’elle. Mais elle ne comprenait pas vraiment ce qu’il s’était passé.
Elle attendit sagement l’arrivé au parc pour
rejoindre Morgane. Le pique-nique se
déroulait dans le parc qui juxtaposait l’école. Les enfants s’y rendaient
souvent que ce soit avec l’école ou leur famille. C’était le parc du village,
il débouchait sur l’orée du bois et chacun savait qu’il était dangereux de s’y
rendre seul. Le reste du parc était accessible à tous les enfants, sous la
surveillance des adultes. Une fois les recommandations d’usages répétées par la
maîtresse et l’ASTEM, les enfants se sentie libre d’aller et venir dans le
parc. Thomasine en profita pour rejoindre Matthieu, au grand étonnement de
Garance qui ne voyait pas son amie venir la rejoindre aux balançoires.
- Morgan, qu’est-ce que
c’était ?
- Quoi ?
- Pourquoi je savais ce qui
allait se passer ?
- Parce que tu as un don.
Comme ma mamie. C’est à l’intérieur de toi. C’est comme ça.
Thomasine se voyait déjà
charcuter par des docteurs en tout genre pour aller chercher ce don qu’elle
avait au fond d’elle. Mais comme si l’enfant avait lu en elle, il repris :
-Non pas dedans toi, Thomasine, c’est juste quelque
chose que tu sais faire en plus que les autres. Tu es comme une fée avec des
pouvoirs magiques…
Thomasine
eut un petit sourire. Pendant un instant, elle cru voir une baguette magique
lui pousser dans les mains mais rien. Elle était une fée avec un seul
pouvoir : elle voyait les accidents arriver… Elle pouvait sauver des gens.
L’idée qui traversait les pensées de la fillette
n’échappait pas à Morgane
- Tu as de la chance tu sais ?
- Je ne sais pas… Pourquoi est-ce que c’est moi qui
sais faire ça ?
- C’est comme ça. Certains ont les yeux verts,
d’autre la peau noire. Moi j’ai un grain de beauté juste sous mon pied. Il y en
a même qui ont tout. Bah toi tu peux dire ce qui va se passer…
- Mais si je le ne veux pas moi ?
- On ne peut pas choisir.
L’enfant hocha la tête comme pour acquiescer de sa
propre explication. Mais il la fuyait du regard. Elle eu la certitude qu’il lui
cachait quelque chose. Un mauvais
pressentiment s’insinuait en elle comme un serpent qu’elle ne pouvait
repousser. Une inquiétude sourde la gagnait
pendant que l’excitation désertait son corps. Ce sentiment s’installait
en elle de façon interminable et son ventre semblait déjà être dévoré par la
bête.
Peut
importe, elle avait eu ce qu’elle voulait mais elle n’était plus très sure de
son choix. La sortie des classes n’était pas loin, qu’allait elle pouvoir
raconter à sa maman. Est-ce qu’elle l’aimerait toujours ? Est-ce qu’elle
savait qu’elle avait ce don ? Elle rejoignit les balançoires en traînant
des pieds mais réconfortée par le sourires que Garance lui lançait.
La sortie arriva plus vite
qu’elle ne l’espérait. Elle remarque que la maîtresse passa un certain temps
seule avec sa maman. Elle se doutait bien qu’elle allait lui dire ce qu’il
s’était passé mais encore ?
Les éclats de rires dans la
classe avaient remplacé les larmes du matin. Seule Thomasine avait gardé un
regard terrifié sur les événements. Le serpent d’angoisse ne l’avait pas quitté
et elle avait l’impression qu’il dévorait tranquillement son estomac et
qu’avant l’heure du dîner, elle n’en aurait plus. Elle chercha du regard
Matthieu. Affairé autour de la pâte à modeler, il prit le temps de relever la
tête pour la rassurer d’un hochement de tête, ce qui lui donnait un air très
mature presque adulte. Puis elle se retourna vers sa mère qui déjà lui
renvoyait un regard que Thomasine jugea inquiet.
- Thomasine, ta maman t’attend
appela la maîtresse.
Les rires cessèrent. Tous
guettèrent une réaction de Madame Bastille qui accueillit sa fille à bras
ouverts. Thomasine s’enfonça dans cette demeure temporaire. Madame Bastille
sourit à la classe comme pour les rassurer. Mais la plupart des enfants
n’étaient pas mécontents de voir la fillette sortir de la classe. Personne,
pourtant, n’avait vu Garance pleurer silencieusement de voir son amie partir
sans pouvoir lui dire un mot.
Philomène emmena sa fille loin des regards.
Elle aussi voulait protéger la petite des questionnements et des peurs qu’elle
eût pu provoquer. Elles rejoignirent le parking derrière l’école d’un pas vif.
Madame Bastille chercha des yeux sa Mégane rouge flambant neuve et s’y
précipita en guettant le moindre regard que pouvait lui jeter les autres
parents qui attendaient leurs enfants.
Elle déposa Thomasine dans son siège auto de façon sèche, et l’attacha
comme si elle était encore un tout petit. Mais ces gestes rassuraient
Thomasine. Philomène s’installa ensuite du côté conducteur et démarra rapidement.
Elle avait besoin de partir vite de ce lieu.
Pendant tout ce temps, la
fillette n’osait rien dire. Elle avait tellement peur que sa mère ne l’aime
plus, la trouve trop « différente »… Ou pire, ne la croit pas…
- Maman j’ai vraiment vu tout
ça…
- Je te crois Tom…
Pendant quelques secondes,
le silence se fit dans la voiture… Thomasine ressentit un soulagement qui ne
serait que de courte durée…
- Morgan dit que j’ai un don
dedans moi et que je suis une fée. C’est vrai ça?
- C’est un peu plus compliqué
que ça mon ange…
- Je ne suis pas une
fée ?
- Beaucoup de personnes de
notre famille ont eu ce pouvoir ma chérie et cela depuis longtemps.
- Ce sont des magiciens ?
- En quelque sorte….
- Tu en as toi ?
- Non. Mais tu ne dois le dire
à personne c’est un secret.
- Mais pourquoi ?
- Parce que tous ceux qui ont
parlé ont eu des soucis, tu comprends Tom ? De gros problèmes.
Le ton que tenait sa maman
ne laissait pas de possibilité de répliquer. Elle compris vite que son don
était une chance et une malchance à la fois.
- Comprends-tu ça Tom ?
personne ne doit savoir
Thomasine leva les yeux vers
le regard gris métalliques de sa mère qu’elle croisait dans le rétroviseur.
Elle ne l’avait jamais vu aussi déterminé. Tous ses sens étaient tournés vers
ce seul regard qui la fixait. Tournant le sien vers la vitre et le monde
extérieur la petite fille dit d’une voix tremblante :
-Je te le promets.
- Je suis désolée mon ange,
j’ai tellement prié pour que ce moment n’arrive jamais.
Il lui sembla que sa mère
écrasait une larme au coin de son œil.
- Pourquoi ?
- Parce que la vie va être
plus difficile à partir d’aujourd’hui…
Thomasine hocha la tête
comme si elle avait compris, mais pleins de choses lui échappait. Elle
repensait au passé, à cette grande maison où elle avait grandi, sa chambre rose
de petite fille où elle aimait s’enfermer pour mieux rêver, le dimanche soir où
sa maman faisait des crêpes, son père riant aux éclats devant son visage
remplit de chocolat… Etait-ce la fin de ce monde ?
Il lui semblait impossible de croiser le
regard de sa mère à nouveau.
Le ton de sa mère se
radoucit :
- On va oublier tout ça pour
aujourd’hui mon ange. Ce soir Tante Lau, vient nous rendre visite. Je servirais
de la glace à la pistache en dessert, je sais que c’est ta préférée....
Un sentiment d’apaisement
envahit Thomasine. Sa tante Lau était la sœur de sa mère et sa marraine en même
temps. Elle l’avait toujours trouvée très belle avec ses longs cheveux bruns et
ses grands yeux noirs. Sa tante Lau, s’appelait en fait Lauriane. Mais ne
supportant pas son prénom, elle s’était toujours faite appeler
« Lau ». Lau, vivait seule. Elle avait souvent des amoureux mais ce
qu’elle préférait par-dessus tout, c’était voyager. C’est pour cette raison
qu’elle avait décidée de travailler dans une agence de voyage pour inventer des
circuits de luxe pour les voyageurs fortunés. « un job de rêve » se
plaisait-elle à dire…
Elles avaient toujours été très proches avec
Thomasine et celle-ci espérait un peu
qu’elle pourrait répondre un jour à ses questions. Pour aujourd’hui, les choses
étaient trop fraîches. Thomasine répondit d’une voix très douce :
- Je suis contente de la
voir.
Pendant les
quinze minutes de trajet qui les ramenait à la maison, seule la radio animait
la voiture. La fillette observait les bois qui défilaient le long de la route,
ces bois qu’il fallait traverser pour arriver au village où elle habitait. Sur
le retour de l’école, c’est ce qu’elle préférait. Parfois elle avait pu
observer des renards, des lapins, des sangliers… Une fois, en rentrant de
vacances de nuit, ils avaient même pu apercevoir un cerf sur le bord de la
route…
Mais
aujourd’hui, rien n’y faisait. Elle ne voyait même plus cette forêt qu’elle
affectionnait tant. Son esprit était brouillé par les évènements de la journée.
Une question revenait sans cesse : Pourquoi elle ?
A la radio,les informations annonçaient des
catastrophes toutes plus importantes les unes que les autres. Thomasine se
demandait pourquoi elle n’avait pas pu prévoir tout cela, et aider ceux qui en
avaient besoin. Des milliers de questions se succédaient, mais elle n’osait
plus émettre le moindre bruit. Elle guettait même sa respiration pour être sur
de se faire oublier.
La petite
maison familiale était située dans un petit village à une dizaine de kilomètres
de l’école. Elle aimait ce village où elle avait grandi. Ses parents habitaient
Paris à leur rencontre. Mais lorsque Madame Bastille était tombée enceinte,
habiter Paris ne lui inspirait que des craintes. Elle avait tenu à ce que sa
fille grandisse dans un milieu protéger. Et tout naturellement il était venu
s’installer là.
On racontait quantité
d’histoire sur cette maison et bien des fois Thomasine s’en était inventé
pleins d’autres, pleines de princes, de princesses, et de chevalier…. Elle
repensait à cette histoire de cette petite fille qui aurait découvert un trésor
et lorsqu’elle l’avait apporté au roi, celui-ci l’avait trouvée tellement belle
qu’il l’avait épousé sur le champ. Elle se demandait si elle, elle n’aurait pas
gardé le trésor pour elle….
La voiture se gara le long de l’allée. Les derniers
jours de juin offraient un soleil agréable qui n’étouffait pas sous la chaleur.
Thomasine était heureuse de se retrouver chez elle. Avec tous ces événements,
elle n’avait pas pu dire au revoir à Garance
et cela la rendait très triste. Mais l’apparition d’un rayon de soleil derrière
un nuage la réconfortait un peu. Elle se précipita dans sa chambre, dans ce
refuge qui la sécurisait. Elle traîna un
moment là, même si l’envie de prendre le soleil dans le jardin la taquinait.
Elle attrapa son livre préféré « Blanche-neige et les sept nains » et
parcouru les images en essayant de se raconter l’histoire à nouveau. C’était le
seul compte où l’héroïne était brune comme elle. A croire qu’il fallait être
blonde pour avoir le premier rôle.
Allongée sur son lit de princesse, Thomasine tentait
de se concentrer sur l’histoire, mais rien n’y faisait. Les questions
revenaient sans cesse et le serpent était plus vigoureux à chacune d’elles qui
restaient sans réponses.
Le thermomètre indiquait 23
degrés, un temps idéal pour jouer dehors si la journée avait été normale. Elle
se demandait comment allait se dérouler la suite des évènements. Elle entendit
la voiture de tante Lau se garer puis ses pas dans le gravier jusqu‘à la porte
d’entrée. Thomasine passa la tête par la fenêtre et surpris sa mère dire
bonjour furtivement à sa sœur avant de lui dire :
-Entre, il faut que je te
parle.
Thomasine se glissa
doucement sur les premières marches de l’escalier et tendit l’oreille.
- Qu’est-ce qu’il se passe, tu
es toute pâle…. C’est le retour de Philippine ou quoi ? demanda Lau dans
un grand éclat de rire
- Arrête tu ne crois pas si
bien dire…
Philippine mais qui est
Philippine ? se demanda Thomasine…
- Tom a eu sa première vision
à l’école, reprit sa mère
- Oh, Phil, tu as toujours
fait comme si ce jour n’arriverait jamais…
- Elle a cinq ans, Lau.
- Mais cinq, dix ou cinquante,
tu savais que ça allait arriver, elle est…
- Oui je sais mais c’est ma
fille avant tout et elle ne tardera pas à avoir ces visions et…
- Et elle saura..
- Si elle en est assez forte.
Et je doute qu’une gamine de cinq ans en soit capable.
- Tu ne dois rien lui dire
- Mais elle pourrait…
- Phil, tu ne dois rien lui
dire, elle doit ne doit rien savoir. Tu sais que si la vérité venait à être
connu nous serions condamnées.
- JE suis condamné Lau!!!!
TOUT COMME ELLE, TOUT COMME TOI!!!!… DEPUIS PLUS DE DEUX CENT ANS…
Thomasine , ne
comprenait plus rien… Pourquoi était-elle condamnée, qui allait elle sauver et
pourquoi elle ? Elle remonta
discrètement dans sa chambre claqua la porte. Elle redescendit les escaliers en
mimant sa bonne humeur. Déjà elle hurlait :
-Tante
Lau ? C’est toi ? Je suis tellement contente de te voir…