samedi 29 décembre 2012

Chapitre I: Thomasine a un pouvoir


Les enfants étaient en rang par deux devant l’école.  L’école aux murs jaunes de ce petit village du sud de Paris, se préparait déjà aux grandes vacances… Dans quelques jours, les classes seraient nettoyées à fond puis dans quelques semaines, elles seraient totalement désertées par les enfants et les enseignants déjà partis sur les routes du soleil.

C’était la dernière année de maternelle de la classe de Mademoiselle Poirier  et cette sortie était la dernière de l’année. Elle avait accompagné cette classe pendant trois ans et c’était toujours avec un peu de nostalgie qu’elle quittait ces petits au bout de tout ce temps… Mais c’était la règle ! Elle le savait, à la rentrée d’autres enfants viendraient remplacer ceux-la et, sans les oublier, elle s’attacherait à d’autres pour trois années supplémentaires.

Deux petites l’avaient pourtant particulièrement marquées pendant ces trois ans. Garance et Thomasine étaient inséparables. Elles ne s’isolaient pas du groupe pour autant, jouaient avec d’autres mais restaient indissociables l’une de l’autre. Cette amitié sans jalousie, sans règles chez des si petits forçait son admiration. Elle s’inquiétait pourtant de leur séparation à la rentrée prochaine.

Les deux fillettes le savaient parfaitement. Garance partait en école privée alors que Thomasine irait à l’école dans le village voisin et cela leurs brisait le cœur. Malgré une affection particulière pour ces deux enfants, la maîtresse ne leur avait pas permis de se mettre l’une à côté de l’autre car elles étaient trop dissipées à son goût . Il y avait beaucoup de route, et de dangers sur le chemin qui menait au cirque de la région, elle ne pouvait se permettre de s’ajouter des difficultés supplémentaires.
 
Alors que les enfants se mettaient  en rang, elles ne se quittaient pas des yeux, chacune sentant un peu plus leurs cœurs se resserrer. Puis quand la maîtresse demanda aux élèves d’avancer, les deux fillettes suivirent le reste du groupe et marchèrent dans la même direction, le long du petit chemin qui rejoignait la rue.



         Ce chemin était jonché de cailloux. Les sandalettes roses de Thomasine les laissaient entrer à chaque pas sous ses pieds.

-       J’ai failli ne pas venir, dit Amaury alors qu’il serrait la main de la fillette. Papa a décidé de partir en vacances plus tôt cette année. Mais maman a dit que c’était important pour moi cette sortie au cirque. Tu crois qu’il y aura des éléphants ?

Thomasine lui fit signe que « oui » mais elle ne pouvait sortir un mot. Elle pensait que cela ouvrirait les vannes et que ses pleurs seraient alors insurmontables. Ils quittèrent le petit chemin caillouteux pour rejoindre le trottoir, ce qui signifiait leur sortie définitive de l’école maternelle. Ils rentraient dans le monde des grands. 

Les pieds de Thomasine étaient de plus en plus douloureux. Elle se retourna pour regarder une dernière fois le grand portail vert qui les avait accueillis pendant trois ans. Tout allait lui manquer : les murets jaunes de l’entrée de l’école, son petit chemin d’écolier, la grande cour, les danses improvisées avec garance sur la butte qui dominait la cour de récréation…
 Puis ses yeux se posèrent sur les longs cheveux noirs de Garance qui se balançaient au rythme de ses pas. Pour finir, elle sentit ses pieds se déchirer par les cailloux coincés dans ses chaussures. Mais elle ne ralentit pas l’allure. Sans un mot, elle rejoignit le groupe et resserra un peu plus fort la main d’Amaury, comme si elle était une sorte de poignée qui pouvait retenir ses larmes.



         Les enfants discutaient tranquillement sur le bord du trottoir. Chacun imaginait ce qu’allait leur réserver cette sortie au cirque. Thomasine s’en fichait. Elle n’avait jamais aimé le cirque. Elle trouvait ça long et fatiguant et préférait voir les animaux en liberté que de les voir obligés de faire des trucs par les adultes. Perdue dans ses pensées, elle ne vit pas la petite voiture verte passé le coin de la rue à une vitesse déraisonnable.
La voiture freina brusquement à quelques mètres des enfants. Elle n’avait pas vu le feu passé au rouge. À la vue des enfants, le conducteur n’avait pas voulu prendre de risque. Mais les élèves  s’étaient, eux, immobilisés de stupeur.

Thomasine fut la seule qui ne tourna pas la tête vers la petite voiture qui redémarrait à la même vitesse dès que le feu passa au vert.
 Une autre image s’étaient imposée à elle. Amaury était allongé sur la chaussée, la tempe en sang les yeux fermés et ne répondant à personne.
-       Bah dis donc, il est fou celui-là….

La voix du petit garçon la ramena à la réalité. Avec un petit sourire, Thomasine tentait d’oublier cette image. Au bout du trottoir, un grand car jaune venait de se garer.


Les premiers enfants montèrent dans le car, s’agrippant à la rampe, il semblait encore difficile pour certain de gravir les quelques marches qui leur permettaient de s’installer. Thomasine, restée sur le trottoir, s’apprétait, elle aussi à poser le pied sur la première marche du bus.

Mais cette fois-ci ce fut les pleurs et les cris de ses camarades qui envahissaient ses oreilles. Quelque part au fond d’elle, au-delà de sa tristesse de quitter cette école et son amie, elle avait un sentiment de peur qui s’insinuait en elle et qui n’avait rien à voir avec tout cela.
Les cailloux qui avaient fini par l’écorcher semblaient avoir disparus. Elle s’immobilisa devant cette marche puis se poussa sur le coté pour laisser Elliot et Julie monter dans le car. Amaury n’insista pas et laissa les suivants emboîter le pas de leurs camarades. Puis se fut au tour de Garance et Dorian de gravir les premières marches du car et lorsqu’elle ne pu plus voir le petit sac rose à tête de lapin de son amie, Thomasine eu l’impression que ses jambes ne semblaient plus lui obéir.
         Les derniers enfants montaient un par un et, cela lui semblait une éternité. À chaque nouvel enfant dans le bus, les pieds de Thomasine semblaient faire un pas en arrière.
-       Thomasine, tu fais quoi ? lui demanda soudain Amaury, tu veux plus aller au cirque ?
L’appel du petit garçon semblait avoir activé le radar à problèmes de l’institutrice. Au coin du car, l’institutrice qui terminait de compter ses élèves, se rapprocha de l’enfant qui semblait comme déconnecté du monde qui l’entourait
-       Que se passe-t-il Thomasine, tu ne te sens pas bien ? lui demanda t-elle
-       IL NE FAUT PAS MONTER DANS CE CAR, énonça l’enfant comme si quelqu’un parlait à sa place.

Les élèves étaient déjà tous installés dans le bus. Seuls Thomasine, Amaury et la maîtresse étaient restés sur le bord du trottoir. La plupart des enfants suivaient la scène du regard, mais aucun n’osait émettre un son, comme si chacun pressentait que quelque chose de grave allait arriver. Seule la voix aigüe de la maîtresse était perceptible :
-       Alors ?
-       Maîtresse, il ne faut pas entrer dans ce car. Il va se passer quelque chose de grave…


Cette annonce ne semblait pas inquiéter la maîtresse plus que cela, mais elle suscita un vif intérêt dans le bus : certains enfants se raidirent, d’autres s’agitèrent tout en observant la maîtresse et leurs camarades restés sur la chaussée.
-       Il va y avoir un accident, repris Thomasine sur un ton qu’elle ne contrôlait plus, Amaury… Sa tête…

Les yeux noirs de la fillette s’emplissaient de larmes et son regard fixait avec une telle intensité la maîtresse qu’elle ne pu s’empêcher de la croire pendant quelques secondes. Thomasine dévisageait la jeune femme, terrifiée par les mots qui sortaient de sa bouche. Au bout d’un certain temps, l’institutrice s’agenouilla auprès de la fillette. Le jean très à la mode de la jeune femme, trainait dans la poussière de la ville mais peut lui importait, l’heure tournait, il fallait convaincre la fillette que rien de grave n’allait se passer, que cette peur était déraisonnée, mais il fallait avant tout la rassurer.

-Mais enfin, Thomasine, qu’est ce que tu racontes ?
-La tête d’Amaury, pleine de sang…

L’enfant qui se tenait à côté d’elle blêmissait à chaque mot prononcé par la petite fille. Amaury avait déjà les yeux pleins de larmes et serrait un peu plus fort l’éléphant vert qui lui servait de doudou. La maîtresse s’en aperçut et tenta de l’écarter afin de discuter calmement avec Thomasine.

-       Amaury monte dans le car s’il te plait…

Mais comme si les craintes de la fillette avaient contaminé le petit garçon, Amaury ne bougeait pas d’un pouce.

-       Maîtresse, il ne faut pas monter dans le bus…
Thomasine, attendit une réaction de la maîtresse. Elle la fixa bien dans les yeux et d’un ton très sur d’elle, elle lui dit :
-       Maîtresse, je sais qu’il va y avoir un accident et je ne vais pas rentrer dedans… Il ne faut pas…

Amaury s’était mis à pleurer. De grosses larmes silencieuses coulaient le long de ses joues de bébé tandis qu’il contaminait chaque siège du véhicule. Garance se leva et rejoignit son amie. Le chauffeur de car, un vieux monsieur à  grosses moustaches et grosse lunette tenta de l’en dissuader mais la petite fille était têtue. Elle s’accrocha comme elle pouvait à la rampe de descente du car et du sauter pour atteindre le bitume, qui la séparait de son amie.
Quelque chose de fort liait les deux enfants et la petite fille savait que si Thomasine pleurait ce n’était pas un caprice. Elles se connaissaient depuis qu’elles étaient toutes petites et Garance savait que Thomasine était une fille bien plus courageuse qu’elle. À la piscine, c’est elle qui avait plongé la première dans le grand bain, et c’était encore elle qui à la colo l’été dernier lui tenait la main le soir pour la rassurer dans cette grande maison qui faisait du bruit. Elle devait lui faire confiance et la soutenir :
-       Maîtresse, moi non plus je ne veux plus aller au cirque.
-       Mais enfin les enfants, on ne va pas s’empêcher d’aller au cirque Parce que Thomasine croit que quelque chose va arriver…
-       Et si elle avait raison ? demandait Amaury qui semblait avoir retrouver soudainement une voix qui avait pris une assurance qui le surprenait lui-même.

Le car tout entier était secoué de sanglots et quelques murmures apeurés s’échappaient des deux allées remplies d’enfants. La maîtresse s’était levée et parcourait du regard les trois enfants pleurants mais décidés qui l’entouraient.
-       Maîtresse vous allez nous forcer ? Lui demanda Amaury

La maîtresse caressa les cheveux blonds du petit garçon et lui répondit :
-       Non… Bien sûr que non…Mais que va t-on faire si on ne va pas au cirque ? dit-elle dans une douceur infime
-       On a  qu’à retourner dans la classe et pique-niquer dans le parc… Ce sera bien  comme sortie de fin d’année…
-       Et bien Garance, il me semble que c’est un bon choix.

L’annonce soulagea la plupart des enfants dans le car. Personne n’attendit l’ordre de la maîtresse pour descendre et tout naturellement chacun, revint se mettre en rang le long du véhicule. Dans le silence apaisé des petits, seule la vieille voix du chauffeur faisait diversion :
-       Vraiment, aujourd’hui, les mômes… Pffffff….

  Matthieu le plus jeune de la classe descendit en dernier. Les larmes avaient laissé de grosses traînées  noires le long de ses joues. Il dévisageait Thomasine comme si elle était un être à part, étrange… Il sentait quelque chose de différent chez elle, mais rien qui ne l’effrayait pourtant…Il savait, lui aussi, bien que quelque chose de grave, allait arriver mais il savait aussi que, lui n’aurait pas pu le prévoir. Il ne pu d’ailleurs s’empêcher de lui dire :
-       Ça t’arrivera encore. Ce n’est qu’un début. Ma mamie faisait ça aussi. Ce n’est que la première fois…
Les enfants attendaient sagement que l’institutrice reprenne le chemin vers la classe quand une réponse surgit de la bouche de Thomasine :
-       Oui . je sais que c’est vrai. Mais je ne sais pas si je saurais toujours quoi faire.

Matthieu haussa les épaules dans un sourire et lui tourna le dos pour donner la main à Nino.

L’enfant n’avait pas fini sa phrase qu’un bruit ainsi qu’un crissement de pneu et un bruit de tôle froissée leur arriva aux oreilles. À la différence de la première fois, Thomasine fut la première à se retourner. Elle fut à peine surprise de voir le car déporté sur le bas-côté, renversé par un gros camion rouge dont le par-choc ressemblait à une boîte de conserve. Le camion n’avait visiblement pas respecté le feu qui venait de passer au rouge et avait percuté de pleins fouets le car.
 La maîtresse laissa le groupe d’enfant sur le bord du trottoir, traversa le croisement qui les séparait de l’accident et se précipita du côté conducteur, oubliant un instant la classe qu’elle accompagnait. À son grand soulagement, elle s’aperçut que le chauffeur n’avait rien si ce n’est quelques égratignures. Le car, quant à lui, avait tout une partie complètement défoncée. Un siège avait même été arraché de son emplacement pour atterrir quelque mètre plus loin sur la chaussée.
 Les enfants un peu hébétés n’osaient plus bouger. Terrorisés par l’accident mais encore plus par la prédiction de leur camarade. Puis une à une les petites têtes se tournèrent vers Thomasine. La maîtresse fut la dernière à regarder l’enfant, et curieusement ce fut elle qui eut l’air le plus effrayée. Thomasine lisait dans les yeux verts de la maîtresse une véritable crainte.


-       Comme je le disais, poursuivit Morgan, sûre de lui, tu as un pouvoir magique.

Et comme si de rien n’était le petit garçon se retourna et attendit sagement la maîtresse le long du trottoir. L’institutrice après s’être assurée que le chauffeur allait bien, appela les secours. Elle rejoignit enfin le groupe d’enfant qui l’avait sagement attendu le long de la chaussée.
   Quand celle-ci eu rejoint son groupe et s’assura que tout le monde était bien là et n’avait rien, Thomasine leva les yeux vers elle attendant une réaction de sa part. Il semblait à la jeune femme que quelque chose avait changée chez la petite fille.
-Maîtresse ?
Et comme si l’institutrice savait ce que l’enfant allait lui demander, la jeune femme lui répondit :
-       C’est étrange certes. Mais je pense que c’est un hasard.
-       Je…

Thomasine jeta un regard du côté de Matthieu qui déjà discutait avec Nino et semblait avoir totalement oublié l’événement qui venait de se produire. Les yeux fixés sur ses camarades, l’enfant avait soudain pali. Elle n’avait jusqu’ici jamais douté de la parole de l’adulte, mais aujourd’hui le discours de l’enfant était bien plus proche de ce qu’elle ressentait. Elle avait la conviction que ce n’était pas un hasard. Non. Elle avait vu cet accident. Elle s’était sentie différente à ce moment-là, comme hors d’elle. Mais elle ne comprenait pas vraiment ce qu’il s’était passé.

Elle attendit sagement l’arrivé au parc pour rejoindre Morgane. Le pique-nique  se déroulait dans le parc qui juxtaposait l’école. Les enfants s’y rendaient souvent que ce soit avec l’école ou leur famille. C’était le parc du village, il débouchait sur l’orée du bois et chacun savait qu’il était dangereux de s’y rendre seul. Le reste du parc était accessible à tous les enfants, sous la surveillance des adultes. Une fois les recommandations d’usages répétées par la maîtresse et l’ASTEM, les enfants se sentie libre d’aller et venir dans le parc. Thomasine en profita pour rejoindre Matthieu, au grand étonnement de Garance qui ne voyait pas son amie venir la rejoindre aux balançoires.


- Morgan, qu’est-ce que c’était ?
-       Quoi ?
-       Pourquoi je savais ce qui allait se passer ?
-       Parce que tu as un don. Comme ma mamie. C’est à l’intérieur de toi. C’est comme ça.

Thomasine se voyait déjà charcuter par des docteurs en tout genre pour aller chercher ce don qu’elle avait au fond d’elle. Mais comme si l’enfant avait lu en elle, il repris :
-Non pas dedans toi, Thomasine, c’est juste quelque chose que tu sais faire en plus que les autres. Tu es comme une fée avec des pouvoirs magiques…
         Thomasine eut un petit sourire. Pendant un instant, elle cru voir une baguette magique lui pousser dans les mains mais rien. Elle était une fée avec un seul pouvoir : elle voyait les accidents arriver… Elle pouvait sauver des gens.
L’idée qui traversait les pensées de la fillette n’échappait pas à Morgane
- Tu as de la chance tu sais ?
- Je ne sais pas… Pourquoi est-ce que c’est moi qui sais faire ça ?
- C’est comme ça. Certains ont les yeux verts, d’autre la peau noire. Moi j’ai un grain de beauté juste sous mon pied. Il y en a même qui ont tout. Bah toi tu peux dire ce qui va se passer…
- Mais si je le ne veux pas moi ?
- On ne peut pas choisir.

L’enfant hocha la tête comme pour acquiescer de sa propre explication. Mais il la fuyait du regard. Elle eu la certitude qu’il lui cachait quelque chose.  Un mauvais pressentiment s’insinuait en elle comme un serpent qu’elle ne pouvait repousser. Une inquiétude sourde la gagnait  pendant que l’excitation désertait son corps. Ce sentiment s’installait en elle de façon interminable et son ventre semblait déjà être dévoré par la bête.

         Peut importe, elle avait eu ce qu’elle voulait mais elle n’était plus très sure de son choix. La sortie des classes n’était pas loin, qu’allait elle pouvoir raconter à sa maman. Est-ce qu’elle l’aimerait toujours ? Est-ce qu’elle savait qu’elle avait ce don ? Elle rejoignit les balançoires en traînant des pieds mais réconfortée par le sourires que Garance lui lançait.


La sortie arriva plus vite qu’elle ne l’espérait. Elle remarque que la maîtresse passa un certain temps seule avec sa maman. Elle se doutait bien qu’elle allait lui dire ce qu’il s’était passé mais encore ?
Les éclats de rires dans la classe avaient remplacé les larmes du matin. Seule Thomasine avait gardé un regard terrifié sur les événements. Le serpent d’angoisse ne l’avait pas quitté et elle avait l’impression qu’il dévorait tranquillement son estomac et qu’avant l’heure du dîner, elle n’en aurait plus. Elle chercha du regard Matthieu. Affairé autour de la pâte à modeler, il prit le temps de relever la tête pour la rassurer d’un hochement de tête, ce qui lui donnait un air très mature presque adulte. Puis elle se retourna vers sa mère qui déjà lui renvoyait un regard que Thomasine jugea inquiet.

-       Thomasine, ta maman t’attend appela la maîtresse.
Les rires cessèrent. Tous guettèrent une réaction de Madame Bastille qui accueillit sa fille à bras ouverts. Thomasine s’enfonça dans cette demeure temporaire. Madame Bastille sourit à la classe comme pour les rassurer. Mais la plupart des enfants n’étaient pas mécontents de voir la fillette sortir de la classe. Personne, pourtant, n’avait vu Garance pleurer silencieusement de voir son amie partir sans pouvoir lui dire un mot.
 Philomène emmena sa fille loin des regards. Elle aussi voulait protéger la petite des questionnements et des peurs qu’elle eût pu provoquer. Elles rejoignirent le parking derrière l’école d’un pas vif. Madame Bastille chercha des yeux sa Mégane rouge flambant neuve et s’y précipita en guettant le moindre regard que pouvait lui jeter les autres parents qui attendaient leurs enfants.  Elle déposa Thomasine dans son siège auto de façon sèche, et l’attacha comme si elle était encore un tout petit. Mais ces gestes rassuraient Thomasine. Philomène s’installa ensuite du côté conducteur et démarra rapidement. Elle avait besoin de partir vite de ce lieu.
Pendant tout ce temps, la fillette n’osait rien dire. Elle avait tellement peur que sa mère ne l’aime plus, la trouve trop « différente »… Ou pire, ne la croit pas…

-       Maman j’ai vraiment vu tout ça…
-       Je te crois Tom…
Pendant quelques secondes, le silence se fit dans la voiture… Thomasine ressentit un soulagement qui ne serait que de courte durée…
-       Morgan dit que j’ai un don dedans moi et que je suis une fée. C’est vrai ça?
-       C’est un peu plus compliqué que ça mon ange…
-       Je ne suis pas une fée ?
-       Beaucoup de personnes de notre famille ont eu ce pouvoir ma chérie et cela depuis longtemps.
-       Ce sont des magiciens ?
-       En quelque sorte….
-       Tu en as toi ?
-       Non. Mais tu ne dois le dire à personne c’est un secret.
-       Mais pourquoi ?
-       Parce que tous ceux qui ont parlé ont eu des soucis, tu comprends Tom ? De gros problèmes.
Le ton que tenait sa maman ne laissait pas de possibilité de répliquer. Elle compris vite que son don était une chance et une malchance à la fois.
-       Comprends-tu ça Tom ? personne ne doit savoir
Thomasine leva les yeux vers le regard gris métalliques de sa mère qu’elle croisait dans le rétroviseur. Elle ne l’avait jamais vu aussi déterminé. Tous ses sens étaient tournés vers ce seul regard qui la fixait. Tournant le sien vers la vitre et le monde extérieur la petite fille dit d’une voix tremblante :
-Je te le promets.
- Je suis désolée mon ange, j’ai tellement prié pour que ce moment n’arrive jamais.
Il lui sembla que sa mère écrasait une larme au coin de son œil.
- Pourquoi ?
- Parce que la vie va être plus difficile à partir d’aujourd’hui…
Thomasine hocha la tête comme si elle avait compris, mais pleins de choses lui échappait. Elle repensait au passé, à cette grande maison où elle avait grandi, sa chambre rose de petite fille où elle aimait s’enfermer pour mieux rêver, le dimanche soir où sa maman faisait des crêpes, son père riant aux éclats devant son visage remplit de chocolat… Etait-ce la fin de ce monde ?
 Il lui semblait impossible de croiser le regard de sa mère à nouveau.
Le ton de sa mère se radoucit :
-       On va oublier tout ça pour aujourd’hui mon ange. Ce soir Tante Lau, vient nous rendre visite. Je servirais de la glace à la pistache en dessert, je sais que c’est ta préférée....

Un sentiment d’apaisement envahit Thomasine. Sa tante Lau était la sœur de sa mère et sa marraine en même temps. Elle l’avait toujours trouvée très belle avec ses longs cheveux bruns et ses grands yeux noirs. Sa tante Lau, s’appelait en fait Lauriane. Mais ne supportant pas son prénom, elle s’était toujours faite appeler « Lau ». Lau, vivait seule. Elle avait souvent des amoureux mais ce qu’elle préférait par-dessus tout, c’était voyager. C’est pour cette raison qu’elle avait décidée de travailler dans une agence de voyage pour inventer des circuits de luxe pour les voyageurs fortunés. « un job de rêve » se plaisait-elle à dire…
 Elles avaient toujours été très proches avec Thomasine   et celle-ci espérait un peu qu’elle pourrait répondre un jour à ses questions. Pour aujourd’hui, les choses étaient trop fraîches. Thomasine répondit d’une voix très douce :
- Je suis contente de la voir.

Pendant les quinze minutes de trajet qui les ramenait à la maison, seule la radio animait la voiture. La fillette observait les bois qui défilaient le long de la route, ces bois qu’il fallait traverser pour arriver au village où elle habitait. Sur le retour de l’école, c’est ce qu’elle préférait. Parfois elle avait pu observer des renards, des lapins, des sangliers… Une fois, en rentrant de vacances de nuit, ils avaient même pu apercevoir un cerf sur le bord de la route…
Mais aujourd’hui, rien n’y faisait. Elle ne voyait même plus cette forêt qu’elle affectionnait tant. Son esprit était brouillé par les évènements de la journée. Une question revenait sans cesse : Pourquoi elle ?
 A la radio,les informations annonçaient des catastrophes toutes plus importantes les unes que les autres. Thomasine se demandait pourquoi elle n’avait pas pu prévoir tout cela, et aider ceux qui en avaient besoin. Des milliers de questions se succédaient, mais elle n’osait plus émettre le moindre bruit. Elle guettait même sa respiration pour être sur de se faire oublier.


La petite maison familiale était située dans un petit village à une dizaine de kilomètres de l’école. Elle aimait ce village où elle avait grandi. Ses parents habitaient Paris à leur rencontre. Mais lorsque Madame Bastille était tombée enceinte, habiter Paris ne lui inspirait que des craintes. Elle avait tenu à ce que sa fille grandisse dans un milieu protéger. Et tout naturellement il était venu s’installer là.



            On racontait quantité d’histoire sur cette maison et bien des fois Thomasine s’en était inventé pleins d’autres, pleines de princes, de princesses, et de chevalier…. Elle repensait à cette histoire de cette petite fille qui aurait découvert un trésor et lorsqu’elle l’avait apporté au roi, celui-ci l’avait trouvée tellement belle qu’il l’avait épousé sur le champ. Elle se demandait si elle, elle n’aurait pas gardé le trésor pour elle….

La voiture se gara le long de l’allée. Les derniers jours de juin offraient un soleil agréable qui n’étouffait pas sous la chaleur. Thomasine était heureuse de se retrouver chez elle. Avec tous ces événements, elle n’avait pas pu  dire au revoir à Garance et cela la rendait très triste. Mais l’apparition d’un rayon de soleil derrière un nuage la réconfortait un peu. Elle se précipita dans sa chambre, dans ce refuge qui la sécurisait.  Elle traîna un moment là, même si l’envie de prendre le soleil dans le jardin la taquinait. Elle attrapa son livre préféré « Blanche-neige et les sept nains » et parcouru les images en essayant de se raconter l’histoire à nouveau. C’était le seul compte où l’héroïne était brune comme elle. A croire qu’il fallait être blonde pour avoir le premier rôle.
Allongée sur son lit de princesse, Thomasine tentait de se concentrer sur l’histoire, mais rien n’y faisait. Les questions revenaient sans cesse et le serpent était plus vigoureux à chacune d’elles qui restaient sans réponses.





Le thermomètre indiquait 23 degrés, un temps idéal pour jouer dehors si la journée avait été normale. Elle se demandait comment allait se dérouler la suite des évènements. Elle entendit la voiture de tante Lau se garer puis ses pas dans le gravier jusqu‘à la porte d’entrée. Thomasine passa la tête par la fenêtre et surpris sa mère dire bonjour furtivement à sa sœur avant de lui dire :
-Entre, il faut que je te parle.

Thomasine se glissa doucement sur les premières marches de l’escalier et tendit l’oreille.



-       Qu’est-ce qu’il se passe, tu es toute pâle…. C’est le retour de Philippine ou quoi ? demanda Lau dans un grand éclat de rire
-       Arrête tu ne crois pas si bien dire…

Philippine mais qui est Philippine ?  se demanda Thomasine…

-       Tom a eu sa première vision à l’école, reprit sa mère
-       Oh, Phil, tu as toujours fait comme si ce jour n’arriverait jamais…
-        Elle a cinq ans, Lau.
-       Mais cinq, dix ou cinquante, tu savais que ça allait arriver, elle est…
-       Oui je sais mais c’est ma fille avant tout et elle ne tardera pas à avoir ces visions et…
-       Et elle saura..
-       Si elle en est assez forte. Et je doute qu’une gamine de cinq ans en soit capable.
-       Tu ne dois rien lui dire
-       Mais elle pourrait…
-       Phil, tu ne dois rien lui dire, elle doit ne doit rien savoir. Tu sais que si la vérité venait à être connu nous serions condamnées.
-       JE suis condamné Lau!!!! TOUT COMME ELLE, TOUT COMME TOI!!!!… DEPUIS PLUS DE DEUX CENT ANS…

Thomasine , ne comprenait plus rien… Pourquoi était-elle condamnée, qui allait elle sauver et pourquoi elle ?  Elle remonta discrètement dans sa chambre claqua la porte. Elle redescendit les escaliers en mimant sa bonne humeur. Déjà elle hurlait :

-Tante Lau ? C’est toi ? Je suis tellement contente de te voir…